Entre 2025 et 2027, La Paillette Maison des Jeunesses et des Cultures célèbre plusieurs anniversaires : les 30 ans du Lavoir en 2025, les 20 ans du Théâtre en 2026 et les 60 ans de la MJC en 2027 !
À cette occasion, une démarche ouverte à toutes et tous (adhérent·e·s ou non) est lancée pour mettre en valeur l’histoire et le patrimoine vivant de La Paillette. L’idée : retracer l’évolution de ce projet associatif et culturel emblématique du quartier.
Plusieurs actions verront le jour au fil de la saison : visites participatives, expositions, etc.
Découvrez avec les deux extraits ci-dessous, le témoignage Martial Gabillard adjoint à la Culture de 1977 à 2008, dans son ouvrage « La politique culturelle à rennes / 1977-2008 », Éditions Apogée - 2008.
EXTRAIT N°1
La MJC La Paillette, la maison des différences
La MJC La Paillette, rue de La Paillette, au bord du centre-ville, au pied du nouveau quartier des années 1970 : Bourg l’Evêque, n’est pas un équipement de quartier, c’est un centre culturel à vocation urbaine très spécifique : le foisonnement théâtral, l’émergence artistique, les différences, une orientation qui lui a donné un rôle irremplaçable et original dans la vie culturelle rennaise. Un tel positionnement astucieux est-il dû à une volonté politique très perspicace ? Non. Mais à une simple reconnaissance, par le pouvoir municipal, du pouvoir d’initiative.
La MJC La Paillette (appelée aussi MJC Rennes centre) est née 8 rue de Redon ; elle est la plus ancienne MJC de Rennes car elle doit remonter à 1959. À ses débuts, son histoire se confond avec l’histoire de la maison du Champ de Mars, équipement qui lui avait été promis, (cf. chapitre 1). Puis en 1973, la municipalité d’Henri Fréville en décidait autrement. La MJC Rennes centre
devait en subir rudement le contrecoup : démission du CA, départ des professionnels, ralentissement des activités.
Un nouveau directeur devait la relancer, Patrick Marie, qui sans être bien soutenu par sa fédération, donnait une nouvelle image à la MJC, une nouvelle fonction : accueillir ceux qui ne sont pas accueillis ailleurs (les diverses minorités pouvaient s’y exprimer mais aussi des jeunes groupes rock y faisaient leurs répétitions : Étienne Daho, Marquis de Sade...). La MJC fonctionnait alors à plein et des nouveaux locaux lui furent attribués dans des locaux de
la chambre des métiers, rue de La Paillette. Elle aménageait en janvier 1977 après une fête tonitruante au 8 rue de Redon, « l’Exauguration » (le 22 décembre 1976).
Puis Patrick Marie se retirait suite à un conflit avec l’Union locale des MJC sur l’organisation de la manifestation sur l’urbanisme mais surtout suite au festival homosexuel, premier ou deuxième du genre en France. Ce festival provoqua un beau brouhaha local à résonance nationale. Les
adhérents de la MJC avaient décidé de créer un festival homosexuel. Ce qui, aujourd’hui, ne choquerait plus personne, devait profondément remuer la bonne et calme conscience rennaise au printemps 1979 : interventions de la direction départementale Jeunesse et Sports et de l’éducation populaire, rappel de la mission première de la MJC, appel à l’exigence de la protection des mineurs et réactions multiples des « bonnes âmes ». Sans vouloir condamner la MJC et la différence homosexuelle, nous cherchions alors une solution en proposant d’accueillir le festival à la salle de La Cité, lieu d’expression libre et ouvert. Le GLH (groupe de libération homosexuelle) refusait et occupait, après une assemblée générale houleuse, les locaux de la MJC et le festival s’imposa.
Cogestion ? Mission impossible, une nouvelle fois la conclusion s’imposait. Pendant des années, après le départ de Patrick Marie, la maison fut longuement marquée par ce festival avec une réputation quelque peu sulfureuse.
Or, peu à peu, Bernard Monnin devait reprendre cet esprit d’accueil de la différence et réussir un lieu original où se côtoyaient la fédération anarchiste et la Ligue communiste révolutionnaire, le groupe Para et les mouvements homos, les jeunes compagnies de danse, de théâtre, la gymnastique volontaire et au milieu de tout cela l’accueil du jeune public. Il devait se spécialiser dans le théâtre et la danse, recevant de nombreuses jeunes compagnies créatives, inventives, risquées aussi, rassemblant 11 000 spectateurs au cours de la saison 1992-1993, une fréquentation souvent à la limite de la capacité des locaux vétustes. Les rencontres inter ateliers animées par Jackie Chartier rassemblaient plus d’une vingtaine de groupes. La programmation au cours de l’année état aussi très riche. Beaucoup d’artistes aujourd’hui reconnus ont pu y faire leurs premiers spectacles devant un public ouvert et disponible.
« Lieu de rencontre, lieu d’hébergement, lieu de création et de diffusion culturelles, la MJC Rennes centre assure sa mission de valorisation de la culture artistique avec beaucoup de ténacité et de continuité. Le projet du directeur en est la clef de voûte » (LARES). Nouvelle démonstration si besoin en était du rôle considérable qu’ont joué les différents acteurs dans l’évolution et la personnalisation des équipements.
Au cours des années 1985-1990, l’équipement « étouffe » : « Nous sommes en situation de blocage due à une suroccupation des locaux. La maison est trop petite », déclarait l’AG de 1987 [Note de bas de page : Archives MJC Rennes Centre, côte 829 W14 et 1052 W 76 – 77]. En 1989, pour nous sensibiliser davantage, Bernard Monnin lançait l’opération « 10 années de convention – 1 000 stages et spectacles – 100 000 stagiaires et spectateurs » mais surtout il concevait un projet de grande ampleur « La maison des arts » pour lequel il devait multiplier les démarches.
Cette maison des arts proposait de quitter le « socioculturel » pour une action résolument culturelle tout en considérant qu’elle restait profondément d’éducation populaire. « Permettre à des individus et à des groupes de faire émerger et de concrétiser leurs sensibilités artistiques. L’éducation populaire comme moyen de production artistique. [Note de bas de page : projet Maison des arts, archives1052 W 76] »
Il s’agissait d’offrir un lieu de travail et de présentation à des artistes amateurs d’abord mais souhaitant aller plus loin, devenir professionnels si le public et le financement approuvaient. Ce devait être aussi une plate-forme de rencontres entre l’offre artistique et le mécénat : utopie ou rêve, Bernard Monnin y croyait dur comme fer.
L’idée était intéressante et d’ailleurs on la trouvera reprise d’une certaine façon par et après les assises pour la culture de 1997 dans « la reconnaissance du foisonnement », dans des lieux qui seront créés comme Le Jardin moderne pour les musiques actuelles, L’Élaboratoire pour le théâtre de rue, ou Le Garage pour la danse.
Cependant Bernard Monnin n’avait pas les locaux adaptés. D’ailleurs, son projet était en même temps une justification supplémentaire à une reconstruction de la MJC. Tous les espaces disponibles du péricentre pouvaient l’intéresser : gare routière, îlot Saint-Yves, Boîte à films, établissements Picard. Notre réponse fut attentiste, intéressée certes mais hésitante : le coût
des investissements et du fonctionnement était inévitablement élevé. Les prévisions de financement par le privé assez irréalistes : 6 à 7 000 000 de francs (1067143 €).
Le temps passa et les locaux devenaient de plus en plus inadaptés rue de La Paillette. La commission de sécurité interdisait les 2º et 3ª étages en 1992. Il fallait partir. Anne Cogné soutenue par l’élu responsable du quartier, Marcel Rogemont, nous proposa de reconstruire dans un lieu très original, très bien situé : la buanderie de l’ancien établissement Saint-Cyr, au bord de la rivière [Note de bas de page : Cette buanderie fait partie d’un ensemble d’environ 5 ha qui appartenait à une communauté religieuse bénédictine, la congrégation du Calvaire. Les bâtiments du xvır, un cloître reconstruit après les bombardements du 13 mai 1943, un immense jardin clos de murs en schistes rouges de Pont-Réan, et une buanderie en bordure de rivière avec sa haute cheminée. Plutôt que d’envisager une avantageuse opération immobilière, en 1986, la congrégation rentra en contact avec la mairie de Rennes et proposa de vendre à la Ville afin que cette << propriété demeure un outil social au service de toute la population » (DCM). Attitude très civique dans un monde où la rentabilité est la première vertu.].
En urgence, au cours des années 1993–1995, la MJC occupait des locaux temporaires sur le site dit de la Sagesse, tout en gardant le rez-de-chaussée dans la salle de spectacles rue de La Paillette.
Les nouveaux locaux seront livrés en 1995 dans une architecture très travaillée et très respectueuse du site, conçue par Bruno Pierre architecte municipal. Une passerelle, tout en améliorant la liaison vers le centre-ville, augmentait le charme des lieux. Cependant, la salle de spectacle prévue à une centaine de mètres sur le site était reportée. Le maire de Rennes nous demandait de faire le point sur l’offre en salles de spectacles sur la ville. N’allait-on pas vers un suréquipement ? L’enquête devait conclure à une demande croissante et surtout à une demande de salles bien équipées pour des artistes et des spectateurs de plus en plus exigeants.
Pendant l’attente, le spectacle continuait rue de La Paillette, mais la demande restait latente et justifiée. En fait cette attente longue permit de réaliser une salle pour le spectacle vivant, pour les nombreuses compagnies, environ une quinzaine, qui ont élu domicile dans ces lieux animés par un nouveau directeur, Bernard Queruau. La nouvelle salle de spectacle de l’ordre de 220 places conçue par l’architecte Robaglia offre un excellent rapport scène-spectateurs, et deux salles de travail pour les répétitions, le tout parfaitement isolé pour faciliter les cohabitations. Les assises pour la culture de 1997 portaient là encore leurs fruits car c’était une réponse avec d’autres qui se voulait adaptée au « foisonnement » culturel.
A-t-on manqué un rendez-vous avec la maison des arts ? Peut-être n’ai-je pas pris suffisamment au sérieux la démarche ? Mais l’histoire continue et de nouveaux acteurs ont pris le relais et finalement l’ensemble que constitue ce Domaine Saint-Cyr est certainement un atout culturel du plus grand intérêt dont s’emparent les hommes et les femmes de culture.
L’entreprise continue au-delà des hommes qui passent.
EXTRAIT N°2
III - Quatre événements qui ont influencé les orientations
Cette réalité rennaise a été marquée par quatre événements qui sont encore dans toutes les mémoires dans les années 1975-1977 : La crise de la maison du Champ de Mars - le Livre blanc des associations culturelles - Les tensions au sein de la maison de la culture - La crise interne de l’OSC.
a) La maison du Champ de Mars
La maison du Champ de Mars avait déjà toute une histoire et comme je le disais précédemment, ce beau projet avait suscité beaucoup d’espoir pour se terminer à l’ouverture par une grande déception. L’idée d’un grand équipement socioéducatif en centre-ville avait été lancée par Michel Leroux, adjoint au maire, lors d’une réunion d’un conseil d’administration de la MJC Rennes Centre, rue de Redon en février 1960. Retenant immédiatement la proposition, la MJC déposait un programme et demandait en février 1961 la réservation du terrain au bord du Champ de Mars, grande place en plein cœur de ville et le 7 novembre 1961, Michel Leroux annonçait que « la MJC » était inscrite dans le cadre de la loi-programme pour 1963... Mais les années passeront, les études se prolongeront et le 8 mars 1968 seulement le conseil municipal adoptait un protocole d’accord pour la maison du Champ de Mars où il était expressément écrit : « La maison du Champ de Mars sera gérée par l’Association de la maison du Champ de Mars (MJC). Cette association sera adhérente à l’Union locale des maisons de jeunes et de la culture et à la Fédération française des maisons de jeunes et de la culture » (ULMJC et FFMJC)... Mais les années passaient encore et le projet continuait d’évoluer. D’une part, il « rétrécissait au lavage des financements » [Note de bas de page : Déclaration de Michel Métayer, directeur la Fédération régionale des MJC lors d’un CA, archives personnelles. »] et surtout, en 1972 le conseil municipal revenait sur les engagements vis-à-vis de la Fédération MJC et annonçait la constitution « d’une association spécifique, originale. Pour la mettre au point une délibération du 20 avril 1972 constituait un groupe de travail présidé par Henri Pitard, membre du conseil municipal. Les travaux de ce groupe de travail où se réunissaient des personnalités diverses et des responsables d’associations devaient aboutir à une délibération du conseil municipal du 25 septembre 1972.
L’association envisagée pour gérer le futur équipement avait un conseil d’administration défini par délibération du conseil municipal et rassemblant des élus des différentes assemblées territoriales, des représentants des organisations syndicales, des associations gestionnaires d’équipements de la ville, des membres élus par les associations. Ce conseil d’administration était un véritable office de la vie associative plus qu’un organisme gestionnaire.
Malgré tout il était encore prévu que l’association pourrait adhérer à une fédération d’éducation populaire, « sans exclure celle envisagée en 1968 qui présenterait étant donné l’expérience de la FF MJC un intérêt certain ». Mais en attendant, le conseil municipal créait un CA provisoire « dont les membres étaient nommés par le maire de Rennes ». [Note de bas de page : Archives personnelles.]
Tout ceci donnait l’impression d’une grande indécision ou plutôt d’une méfiance non dite vis-à-vis de la FFMJC, méfiance que l’on camouflait dans des montages juridiques complexes mais qui n’avaient aucune chance de fonctionner véritablement surtout dans une période où le consensus n’était pas évident.
En fait, les crises se succédaient au sein même de l’association puisque Jean Verpraet, président, démissionnait. Alors les élus décidèrent purement et simplement de municipaliser en avril 1974.
Il était évident qu’après de tels événements, tous les discours de l’équipe municipale, sur la liberté associative, sur le respect des diversités des mouvements, n’étaient plus crédibles et un nouveau mode de pouvoir municipal était espéré.
Pourtant il serait erroné de penser que tout le mouvement associatif faisait complètement corps derrière la Fédération des MJC. Certains voyaient avec quelque inquiétude une fédération s’emparer de l’équipement central. L’attitude plutôt dogmatique de la fédération qui imposait, conformément à ses statuts, l’affiliation à la MJC de toute association ou de toute personne qui
participerait aux activités de la maison, provoquait quelques méfiances qui empêchaient une véritable mobilisation. Si bien qu’après 1977, nous ne reviendrons pas sur le choix de municipalisation pour éviter de recréer de nouvelles tensions dans le mouvement associatif. Il n’y eut aucune protestation réelle.
Léo-Lagrange, la Fédération des œuvres laïques, les Amitiés sociales, le Cercle Paul-Bert, les Patros bien sûr, approuvaient. Seule la Fédération MJC maintint sa revendication pour la forme.
D’autant plus qu’une équipe professionnelle était désormais en place. Elle était dirigée par Yves Martin qui avait pris le risque de se lancer dans cette aventure, au grand soulagement de Jean Verpraet, et qu’il donnait satisfaction aux usagers.